Dany Gerlach est éducatrice de jeunes enfants, formatrice certifiée pour le concept de la stimulation basale et vie quotidienne et expert formateur européen.
Cet article a été rédigé par Dany Gerlach pour et avec le soutien de Réseau-Lucioles.
SOMMAIRE
UN MOYEN D’EXPRESSION A DÉCODER
En France le langage psychiatrique a envahi tous les domaines dans lesquels on retrouve des personnes « à soigner », ce qui fait que certains mots sont utilisés de manière inappropriée.
Il en résulte, dans les institutions recevant les personnes polyhandicapées, autistes déficitaires, déficients mentaux profonds …, des confusions sur l’interprétation de certains comportements « dérangeants » qui reviennent régulièrement. Il est important, afin de ne pas porter un jugement erroné, de bien les analyser dans leur contexte.
L’âge, les étapes de développement de tout individu, la pathologie dont il est atteint, le milieu culturel dans lequel il évolue … sont des aspects à prendre en compte, en équipe, afin de répondre au mieux aux messages exprimés par ces comportements.
TROUBLES DU COMPORTEMENT ?
Lorsque l’on parle de « troubles », cela sous-entend « écart par rapport à une norme» . Le contexte « environnemental » dans lequel un comportement s’exprime est déterminant pour considérer qu’il y a un « écart par rapport à la norme ».
Ce qui est admis dans certains milieux (par exemple manger avec ses doigts..) ne l’est pas dans d’autres : le contexte culturel, éducationnel, les capacités de tolérance du milieu vont déterminer s’il y a ou non, « trouble du comportement ».
En outre, certaines pathologies sont reconnues comme favorisant un profil comportemental particulier, lié sans doute à un dysfonctionnement neuro-psychologique. Il serait cependant dangereux de réduire notre lecture uniquement à ces dimensions et de tomber ainsi dans une sorte de déterminisme où une pathologie= un comportement =une réponse.
Et, comme le dit Boris Cyrulnik : « On est loin de la fatalité génétique racontée par ceux qui se complaisent dans une vision de l’homme soumis à la dictature biologique ».
Le développement de chaque personne est complexe. Chaque histoire est unique et se construit à partir d’un cocktail aux composantes très nombreuses et variables.
AUTOMUTILATION ?
Lorsqu’il y a handicap mental « sévère », l’auto-mutilation est un « comportement langage » qu’il faut parvenir à décoder …et ce n’est pas facile.
Il n’est pas rare d’entendre dire qu’une personne « s’automutile » dès qu’elle porte atteinte à son intégrité physique. « De tels comportements n’apparaissent pas seulement chez des personnes polyhandicapées ; ils se retrouvent aussi chez des personnes moins atteintes, voire sans handicap au sens propre du terme. Les nourrissons et les enfants en bas âge se balancent un peu, se tapent la tête sur le matelas ou l’oreiller…Pendant une période assez courte on observe souvent des manipulations des mains plus ou moins automatisées…des grattages sur une partie du corps…Nous trouvons ces mêmes activités encore plus marquées chez les personnes âgées » A. Fröhlich
Différentes lectures existent à l’heure actuelle autour de ce mot « automutilation ».
Une personne qui veut « s’auto détruire », doit avoir acquis, entre autre, la conscience de soi, le rapport de cause à effet, la notion de disparition définitive…et être capable d’évaluer les conséquences de son geste.
Pour une personne avec handicap mental « sévère », qui n’a pas acquis tous ces repères, « auto mutilation » ne peut donc pas signifier désir « d’auto-destruction ».
Même si extérieurement ses gestes peuvent être vécus comme volontairement destructeurs,
ils sont en fait, des mouvements à type de décharge psychomotrice, incontrôlés, sans nuance, répété, mais sans intentionnalité agressive ni pour la personne elle-même, ni pour celles qui l’entourent. Ce sont des « comportements langage ».
Quoiqu’il en soit, s’il y a risques de graves blessures… c’est insupportable et il nous faut donc intervenir mais pas n’importe comment.
STEREOTYPIES ?
Ces mouvements se caractérisent par leur apparition spontanée et par leur absence apparente de signification utilitaire ou symbolique. On pourrait dire que les personnes qui y recourent « jouent » ou « s’occupent », mais de façon particulière. On peut distinguer plusieurs formes de stéréotypies :
- Le frottement de deux parties du corps ou bien un balancement du corps dans sa totalité…des cris…des coups…des griffures…ou l’endormissement (au-delà des besoins de sommeil)…Dans ces situations, le corps propre est l’objet de la manipulation.
- La manipulation incessante d’objets comme, le déchirement de feuilles de papier, faire tourner un objet, ou tourner sur soi-même, agiter les mains sans but….
De nombreux pédagogues s’accordent à dire que, là aussi, il s’agit d’ « un comportement-langage » et qu’il est utile de repérer les moments les plus fréquents pendant lesquels ces stéréotypies apparaissent afin de décoder, au plus près, les demandes qu’elles expriment.
Un même geste a souvent plusieurs significations. Mais, selon les circonstances, les proches perçoivent des différences à peine perceptibles, par exemple dans l’augmentation du mouvement, dans l’intensité d’un frottement ou bien encore dans la variation sonore d’un cri ou d’un regard.
Le plus souvent il est possible d’interrompre ces stéréotypies en captant l’attention du sujet.
L’arrêt peut se prolonger dans des temps structurés et reprendre dans des situations d’ennui, de sur stimulations extérieures, de demande précise impossible à exprimer « normalement »…très souvent aussi lorsqu’il y a une souffrance physique.
Qu’en est-il à l’heure actuelle ?
Depuis plusieurs années, suite aux nombreuses recherches, ces différentes interprétations ont fait place à la notion d’autostimulation. Les pédagogues spécialisés s’appuient sur le besoin fondamental de communication, de stimulation, de changement, de proximité, de contact. « Chaque individu, quel qu’il soit a besoin d’un minimum de stimulation sensorielle pour construire et conserver une certaine stabilité de l’organisme psychique et physique. Pour éviter de s’appauvrir totalement sur le plan sensoriel, l’individu organise lui même et pour lui même des situations stimulantes. ». A. Fröhlich.
POURQUOI ?
Wallon, J. de Ajuriaguerra, A. Fröhlich, Winicott, Bullinger, Herzka, G.Haag…
Il y a un lien entre les dimensions toniques (langage du corps) et les dimensions émotionnelles.
Cet équilibre qui consiste à adapter nos mouvements à nos émotions ou bien à notre désir d’action, est déséquilibré chez les personnes déficientes.
Manipuler des objets ou bouger comme nous l’avons décrit plus haut, c’est comme « une solution de secours » par laquelle ces personnes organisent elles-mêmes un minimum de stimulations. Mais, leur répertoire est très limité.
Ne pouvant satisfaire elles-mêmes leurs besoins, ces personnes très dépendantes sont souvent bloquées :
- d’un côté par un accompagnement peu stimulant, pauvres dans les offres sensorielles. Cette pauvreté ne leur permet pas de maintenir présente leur image corporelle. Elles s’engagent alors dans une activité stéréotypée, qui alimente à minima un sentiment d’existence et dans laquelle souvent elles s’enferment.
- à l’autre extrême, elles peuvent se trouver confrontées à « trop de stimulations » ou « trop d’émotions » ou plus simplement l’incompréhension d’une situation. Ne pouvant ni comprendre ni contenir ces sensations, celles-ci les « débordent ».
Cela les amène à des conduites stéréotypées (les mêmes, mais avec parfois une intensité, un rythme différent qui vise alors à résoudre la tension accumulée. Elles sont stabilisatrices pour l’intéressé.
Avec ces indications, nous arrivons peut être à mieux comprendre et à classifier ces comportements. Ils représentent un effort de l’individu pour se stabiliser, d’une part pour se procurer des impulsions, d’autre part pour se démarquer et vivre comme un individu autonome. De ce point de vue, ces comportements ne peuvent plus être considérés comme indésirables et à faire disparaître. Cependant nous constatons qu’ils nuisent au développement. Ils n’élargissent guère la compétence de l’individu en question.
Alors, les stéréotypies, respectivement l’automutilation et l’autostimulation sont des signaux par lesquels l’individu nous dit qu’il n’a pas encore pu développer une stratégie appropriée pour ses processus d’échange avec son environnement…ainsi qu’avec son propre corps. » A . Fröhlich.
QUELLES QUESTIONS SE POSER ?
Pour intervenir le plus efficacement possible auprès d’une personne, il est souhaitable de chercher à comprendre la raison de son comportement :
- Replacer cette situation, dans un ensemble plus large que l’évènement immédiat,
- Emettre des hypothèses,
- S’interroger sur la manière dont nous agissons avec elle,
- Se demander si elle comprend nos demandes,
- Prendre en compte aussi, la qualité de son environnement sensoriel (bruits, lumières, température, confort de son installation…)
Ces « comportements langage », en effet, peuvent avoir plusieurs rôles :
- Signifier que nos demandes sont incompréhensibles,
- Se sécuriser lors d’évènements difficiles,
- Procurer le plaisir de « se percevoir » à travers le mouvement, de sentir l’espace proche, se donner un sentiment d’existence. C’est un remplissage sensoriel sécurisant mais isolant.
- Exprimer une douleur physique (reflux gastriques, problèmes dentaires, cystites, mauvais positionnement….),
- Signifier contentement ou déplaisir,
- Combler l’ennui,
- Se ressourcer,
- Dire que l’environnement est inadapté (bruits, lumières, monde, télévision…),
- Autres….
Enfin, certains autres comportements, beaucoup plus discrets, doivent être repérés : de nombreuses personnes n’ont pas accès à ces registres d’expression dont nous avons parlé plus haut : elles ne peuvent bouger, manifester et…finalement …elles s’endorment.
Ces personnes ne bénéficient pas de la même attention et pourtant elles recourent aussi, mais d’une autre manière, à des « comportement-langage » qu’il faut prendre en considération… (micro-mouvements…des doigts, d’un pied…de la tête …)
Souvent malheureusement, elles ne sont pas entendues dans leur mode de communication trop discret…Elles sont « les oubliées ».
QUE PROPOSER ?
A vrai dire il n’y a pas de « recette » ! Mais il est essentiel de :
- Donner sens à ce langage ; c’est une priorité, sachant que personne ne peut être certain en totalité, de tomber juste,
- Analyser « nos » actes et la qualité de l’environnement, se demander si la situation est compréhensible pour la personne.
- Décoder les situations régulièrement difficiles, pour pouvoir aider à les anticiper, à les prévenir, notamment en leur donnant des objets signifiants (ex : maillot de bain ou sac de piscine pour aller se baigner) … pour que la personne comprenne mieux ce qui va arriver, au-delà des mots…
- Inventer quelques gestes d’ouverture face aux stéréotypies, afin d’éviter l’enfermement. Exemples :
- Pour ceux qui se tapent la tête…on peut parfois les calmer par des pressions fortes, globales sur le crâne, ou bien des tapotements sur leur structure osseuse (les deux bras ou bien la colonne vertébrale)
- Pour ceux qui « s’endorment »…on peut soit leur faire respirer une odeur forte, soit mettre une main sur l’endroit de leur respiration, et accentuer en micro mouvements leur amplitude respiratoire….
- Pour ceux qui se balancent….les approcher avec précaution et leur offrir d’autres mouvements (toujours sans grande amplitude !)
Pour résumer, on peut dire qu’on reprend le mode d’expression de la personne et que l’on cherche à changer son intensité et/ou la direction du geste.
Il faut en permanence faire preuve d’imagination et de créativité.
L’objectif n’est pas de les arrêter mais de s’introduire comme partenaire dans cette activité d’autostimulation enfermante à long terme. C’est une manière de leur ouvrir le monde.
Vous l’avez compris, on ne parle pas ici de gestes techniques …mais d’une rencontre.
Certaines personnes aussi, ne peuvent contrôler seules leurs « décharges motrices » et, risquent gravement se blesser. On dit qu’elles sont « éclatées ».
- Avec grande douceur dans l’approche, les envelopper dans une couverture, ne plus bouger…peut leur faire grand bien (attention aux contre indications !).
- Dans certaines situations, on peut également les aider à se canaliser physiquement afin qu’elles puissent mieux fixer leur attention. Par exemple, une personne dépendante pour se nourrir, sera gênée si elle ne peut se retenir de porter ses mains dans sa bouche. Des attelles de bras ou bien la confection d’un joyeux foulard pour maintenir les bras sur les accoudoirs peut améliorer la situation. On peut parfois aussi recourir à ce type de solutions, pour écouter une histoire, une musique.
Ces derniers aménagements sont à pratiquer avec beaucoup de discernement car il est important de laisser ces personnes libres de « parler » à leurs manières.
Les « contenir » à longueur de temps serait totalement irrespectueux et est à éviter à tout prix !.
Ainsi, recourir de manière inappropriée et systématique à ces solutions, traduit une baisse d’intérêt, et d’attention portée à la personne ainsi que des difficultés croissantes à lui proposer des activités. Ce « mode de fonctionnement » entraînent alors, chez la personne accompagnée un manque d’attention de plus en plus soutenue, un appauvrissement des intérêts, un manque de tonicité, qu’on a tendance (trop facilement !) à mettre sur le compte de la pathologie : « il est polyhandicapé, cela explique tout !»
Les personnes dont nous parlons ne sont pas des « robots ».
Ce qui marche une fois pour l’une, ne se reproduira peut être pas systématiquement.
A la longue pourtant, la rencontre entre les deux partenaires, la compréhension des situations se fait de plus en plus facilement, à condition que « notre » objectif ne soit pas d’annuler la stéréotypie, car celle-ci peut disparaître un temps, diminuer…et revenir.
NE PAS AVANCER SEUL !
Face à ces situations, il est utile, voire indispensable, de ne pas avancer seul mais à plusieurs.Il n’existe pas une seule réponse face à ces comportements ! Personne ne peut détenir « la vérité ». Il est important de pratiquer ce « décryptage » en interdisciplinarité.
Les principaux interlocuteurs pour ce travail sont les parents et les équipes du quotidien dans les institutions. Leurs observations sont essentielles et doivent être reconnues et entendues à parts égales, car elles partent de la réalité et non de situations cliniques.
UNE PRIORITE : il est indispensable d’éliminer toutes causes de douleur physique.
Pour cela, les médecins, dentistes, kinésithérapeutes, orthophonistes spécialisées en déglutition, orthoptistes, ergothérapeutes, diététiciennes, gynécologues ont un rôle important à tenir.
Ensuite, de nombreux professionnels peuvent aider à décoder et à avancer :
- Les neuro-psychiatres peuvent apporter leur éclairage sur des comportements spécifiques liés à certaines pathologies, à condition, (cela a déjà été dit) de prendre en compte la personne dans sa globalité et dans son histoire.
- Les psychologues, peuvent aider à comprendre les souffrances psychiques (pas uniquement liées à la famille !) et à les replacer dans l’histoire de la personne. Certains ont également la possibilité d’évaluer les compétences cognitives afin d’aider à mieux ajuster les interventions des professionnels et parents.
- Les psychomotriciens, les orthophonistes spécialisées peuvent intervenir dans le développement d’outils de communication adaptés.
- Les éducateurs spécialisés qui vivent au quotidien avec la personne, peuvent être de très bons conseils.
Tout ceci est un véritable travail de partenariat, peu évident à mener, et qui demande à chacun d’être ouvert, réceptif, de rester humble, de vouloir construire avec les autres et de chercher en permanence à communiquer avec la personne handicapée en s’adaptant à ses possibilités. C’est le plus difficile, car il est reconnu (Sarimski 1986), que dans son effort pour instaurer la communication, le soignant dépense plus d’énergie dans la recherche de moyens que dans la communication elle même. Il en résulte beaucoup d’efforts par rapport à de rares progrès…et on arrive à une situation unilatérale sans compréhension réciproque.
EN CONCLUSION
Il est impossible de présenter ici l’ensemble des données apportées par les différents auteurs, mais le fond commun reste le fait qu’il faut faire très attention à la manière dont l’environnement « juge » ces « comportements langage » qui ont parfois encore beaucoup de mal à être entendus comme positifs, tellement ils renvoient à une histoire culturelle assez tenace, surtout, bien sûr, lorsqu’il y a blessure physique.
A cela s’ajoutent des émotions personnelles plus ou moins fortes, un sentiment de culpabilité et d’impuissance chez le parent et/ou l’éducateur du quotidien.
Ces derniers perçoivent intuitivement des différences sans pouvoir précisément les expliquer.
Les recherches actuelles, qui demandent curiosité et ouverture d’esprit, définissent ces « échanges », comme de la « communication non verbale » à l’état pur. Elles remettent également en question notre manière de faire et d’être par rapport à notre recherche permanente d’un résultat « visible » aux yeux de tous.
Il est important, de savoir prendre en compte cette communication non verbale (tout ce qui n’est pas dit par le verbe). Celle-ci apporte souvent beaucoup d’informations pour le décryptage des comportements d’automutilation et de stéréotypie. Avec le recul et le discernement d’une équipe professionnelle pluridisciplinaire, ces informations permettent d’ajuster, progressivement, des réponses adaptées.
Ainsi, lorsqu’une personne n’entre pas dans « la norme » et qu’elle s’exprime d’une manière « très particulière », il n’est pas souhaitable de l’empêcher de s’exprimer sans lui proposer une alternative…
Reconnaître cette communication « non verbale », c’est donner à la personne qui a un handicap « sévère », une existence propre et des moyens pour exprimer ses besoins.
C’est une question de respect, de considération, de reconnaissance de son existence et de « ses » forces personnelles.
BIBLIOGRAPHIE
- Le concept de la stimulation basale – Andréas Fröhlich
- Les comportements auto agression ou auto stimulation ? – Danièle Wolf.
Deux documents édités par : CSPS (Centre suisse de pédagogie spécialisée)- Lausanne
E mail : csps@szh.ch - Les troubles du comportement et de la personnalité chez la personne polyhandicapée.CESAP – 5, rue Blanche – 75009 Paris
- Les troubles du développement cognitif – Maurice Berger – Ed. Privat
Je découvre un article dans le magazine déclic, et j’accède à votre site.
Mon fils de 3 ans et demi présente une encéphalopathie épileptique sévère pharmaco résistante avec des stéréotypies. Grâce à votre site, je me rends compte qu’il y a des moyens pour essayer de le comprendre mais jamais un professionnel n’a pris le temps de me le signifier et moi mon dieu comment ai-je pu être aussi naïve pour ne pas y penser plus tôt.
Merci au Réseau-Lucioles…