Ma fille Camille a aujourd’hui 13 ans et souffre d’un retard global du développement avec troubles autistiques.
La prise en charge à l’hôpital de jour ne nous donnant pas satisfaction nous avons décidé il y a quelques années de reprendre les choses en main.
Camille, depuis qu’elle avait arrêté sa scolarité en CLIS à l’âge de 7 ans, avait plongé. Régression dans le langage qui était déjà peu élaboré et régression dans la qualité de communication de Camille et de sa relation au monde. Nous perdions Camille.
En face de nous des professionnels muets, voire mutiques, qui nous demandaient d’attendre l’émergence du désir. Leur seule proposition : rupture familiale et neuroleptique. Panique, révolte, sommes allés voir la psychiatrie d’en face, des mois d’attente, un vague diagnostic, pas de prise en charge institutionnelle, pas de connexion hôpital – secteur éducatif et scolaire, évaluations neuropsychologiques, pep, rééducation de l’intelligence et des praxies en cabinet orthophonique à rythme soutenu, reprise à la maison. Pas possible de travailler. Bref, j’accélère, beaucoup d’entre vous connaissent.
Être mère et rééducatrice en même temps c’est lourd. Le quotidien, lui, ne fait pas qu’émerger… il nous submerge.
Que faire quand Camille ne peut rien initier d’elle-même ? Si elle n’est pas accompagnée, elle ne fait rien. Elle s’ennuie, s’énerve.
Elle ne sait pas jouer, elle ne sait pas dire, elle ne sait pas faire.
Sa rééducation portait sur le pareil, la coordination main-œil, l’exploration de l’espace, la coordination des 2 mains, l’acquisition des rythmes… une approche très cognitiviste.
Mon livre de référence : Le manuel de pédagogie spécialisée d’Eliane Chaulet. Dans son avant-propos Eliane Chaulet dit : « Allons-y, il est urgent de le faire fonctionner (l’enfant handicapé mental) ! » c’est-à-dire de le doter des schèmes nécessaires et indispensables à l’élaboration d’une activité ouverte, organisée et organisatrice. Elle dit aussi ailleurs, je ne sais plus où, que l’on a pas le droit de laisser l’enfant handicapé mental dans son inutilité pour lui-même et pour les autres.
Que faire au quotidien, que faire du quotidien ?
LE MÉNAGE !
Allons dans la cuisine, sale de préférence. Commençons par la vaisselle abandonnée hier soir. D’abord prendre les assiettes une par une, prendre une fourchette et les gratter, puis les déposer dans le bac par ordre de grandeur, puis ouvrir l’eau (tourner le robinet dans le bon sens, pas trop chaud pas trop froid, et attendre qu’il y ait suffisamment d’eau, mais pas trop, savoir arrêter l’eau quand le bac est plein).
Gratter l’assiette avec le bon côté de l’éponge. Une face puis l’autre. S’assurer qu’il n’y ait plus de traces de saleté. (Coordination des 2 mains, coordination main-œil, faut pas gratter à côté). Puis changer de bac pour rincer, ne pas remettre l’assiette dans le bac avec l’eau sale, puis sortir l’assiette de l’eau pour la mettre à égoutter, placer les assiettes les unes à côtés des autres (passer d’une main à l’autre). Il y a une logique linéaire : je passe de gauche à droite et du sale au propre et sec. C’est un processus séquencialisé.
Ne pas se priver de vocaliser : Qu’est-ce que tu tiens dans la main ? une assiette. Comment est l’assiette ? Que fais-tu ? Je lave l’assiette (prendre sa main et la poser sur sa poitrine pour l’aider à ne pas fonctionner en écho et à ne pas intervertir le je et le tu)
Excellent le tri des couverts propres et secs. ! Camille prends le couteau, [l’obliger à regarder ce qu’elle fait (coordination main-œil), à passer le couteau d’une main à l’eau (faire fonctionner ses 2 hémisphères) et à le ranger avec les autres (travailler le pareil) et à dire « je range le couteau ». On peut imaginer selon les difficultés de l’enfant d’utiliser des images et de passer de l’objet à son symbole visuel et vice versa puis à son symbole auditif…à nous d’être créatif.
On peut passer ensuite au ramassage des miettes sur le sol (élargissement du champ visuel par exploration de l’espace, le dessous de la table et le dessus de la table, repérage, coordination des 2 mains pour manœuvrer le balais, précision du ramassage pelle balayette).
Et l’étalage du linge sur le fil !!! Comment mettre le tee-shirt sur le fil pour qu’il pende de part et d’autre de façon équilibrée ?
Le pliage de la serviette de table ! faire coïncider les 2 bords, plier en 2 puis en trois, mathématique ! Faire des piles de ce qui est à moi, à toi, à papa et à ta sœur. Ranger dans la commode en tenant d’une main la paire de chaussette et en ouvrant le bon tiroir de l’autre.
Les règles : ne jamais s’énerver, pas de paroles blessantes, ne pas faire à sa place pour aller plus vite, l’encourager, la rassurer.
Le bénéfice :
Je ne suis plus dans un face à face frontal que Camille a du mal à supporter, mais nous faisons quelque chose ensemble, côte à côte, de constructif et d’organisé dont on peut parler avec papa et les amis, que l’on peut rapporter au psychiatre de l’HDJ qui se dit « ça y est, la mère a pété les plombs, elle est en pleine régression ».
Au bout de 3 à 4 mois, je capte son attention sur une activité pendant 20 minutes et en changeant d’activités nous pouvons travailler ensemble 3 à 4 heures.
Camille est apaisée, son visage est détendue, elle a un petit sourire en coin et nous regarde du coin de l’œil, elle ne pousse plus de cris, elle ne saute plus en l’air, je suis détendue, je me sens apaisée, j’ai moins peur, je me sens utile à ma fille.
Marie-Françoise, « mère-professionnelle » de Camille, souffrant d’un retard global du développement avec troubles autistiques.
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