Igor est né en 86, petit enfant bien endormi, il avait du mal à se réveiller pour boire son lait. Au début rien ne nous disait qu’il était porteur d’un handicap. Mais assez vite, les services hospitaliers commençaient à se poser des questions.
Igor a été admis dans le service néo-natal de Créteil. De multiples recherches n’ont pas pu expliquer son esprit un peu amorphe et après deux semaines, Igor est revenu chez nous. On était content d’accueillir ce nouveau membre de la famille.
Igor est passé d’un bébé qui dormait trop à un enfant qui ne trouvait pas le sommeil.
Jusqu’à l’âge de huit ans il ne dormait pas plus que quatre heures par nuit.
J’ai le souvenir d’être allée souvent le voir, et de le trouver mi-réveillé, en train de se balancer d’un côté et de l’autre. Il pouvait faire cela des heures, ce mouvement répétitif presque en transe.
À l’époque nous n’avions pas les clés pour comprendre ce mouvement de comportement dans lequel il s’enfermait. Comment l’interpréter ? Est-ce que pour lui c’était une manière de passer ces longues heures de la nuit où le sommeil ne lui était pas possible ? Y aurait-il eu une manière d’arrêter ce mouvement par les berceuses ou notre présence ? Aurait-il trouvé alors le chemin du sommeil ?
Avec les autres enfants, j’avais toujours chanté, bercé, raconté des histoires, et cette présence là visiblement les réconfortait, au point que le sommeil venait par la confiance et le bien-être.
Avec Igor, il ne semblait pas sensible à notre présence. Les berceuses le faisaient pleurer et le contact physique ne lui transmettait pas ce bien-être si nécessaire.
Dans la période avant huit ans je pense nous avons tenu le coup tout simplement parce que nous avons continué à dormir.
Notre présence ne changeait rien pour lui.
Et il fallait tenir pour les autres pour nous mêmes et aussi pour lui.
Nous avons essayé de lui donner différents sirops, de l’homéopathie, de l’ostéopathie, et même du Mozart, le tout sans succès.
A un moment j’ai décidé que visiblement Igor n’avait besoin que de quatre heures de sommeil par jour, car dans la journée, il n’était pas fatigué.
Un moment qui m’avait fait rire c’était quand on dormait tous dans un refuge avec une autre famille. Igor se balançait et faisait du bruit pendant des heures. Le père de l’autre famille ne pouvait pas dormir. Au milieu de la nuit, il lui a filé un tranquillisant et s’est endormi. Le matin il m’as dit : « Tu vois, c’est ça qu’il fallait faire, Igor a si bien dormi. » Je me suis retenue de lui répondre qu’en fait c’était lui qui avait si bien dormi, et qu’Igor lui avait continué à se balancer toute la nuit.
A partir de huit ans, les choses ont commencé à changer. Igor dormait progressivement plus tous les soirs, mais il pouvait se réveiller tout de même plusieurs fois par nuit.
Il se levait, mettait la lumière et allait se promener dans la maison avec tous les dangers que cela comportait et dont il semblait ne pas mesurer l’importance. Nous avons décidé à ce moment-là de fermer sa chambre à clé car s’il avait besoin de nous il serait capable de se faire entendre. C’était un compromis entre son manque de repères et notre propre besoin de dormir, mais au moins ça lui donnait un cadre pour qu’il comprenne quand c’était le moment de rester dans sa chambre.
Quelques années après, nous sommes entrés dans une phase plus difficile où Igor prenait plaisir à taper sur sa porte très fort plusieurs fois par nuit. A ce moment-là nous ne dormions plus bien, car l’un ou l’autre allait le voir pour le recoucher.
Parfois la chaleur de sa couette le poussait à rester en dessous jusqu’au point de retrouver le sommeil, mais le plus souvent il se relevait tout aussi tôt. Il venait dans notre chambre pour finir ses nuits.
Pendant cette période-là, nous ne pouvions pas dormir chez d’autres gens de peur qu’il ne réveille toute la maison, ou alors nous acceptions que c’était nous qui ne dormions pas pour garder Igor le plus calme possible.
A 18 ans, Il venait d’être accepté pour la première fois dans un foyer d’adulte et il avait dix huit ans. Je m’inquiétais car je voyais que dans ce nouveau lieu il se réveillait dans la nuit et il tapait sur la porte, et comme ils refusaient de l’enfermer à clé, il allait dans les autres chambres. Bref, j’étais terrifiée qu’ils ne le gardent pas.
Et puis un jour tout a changé !
Nous étions invités à un mariage. C’était l’été et nous avions apporté deux tentes, l’une pour nous, l’autre pour Igor.
En me réveillant le matin dans ma tente, j’ai réalisé que j’avais bien dormi. Donc Igor aussi……dans une tente. Et oui, l’idée est venue tout d’un coup, pourquoi pas le coucher dans une tente dans sa chambre ? Surtout que maintenant il en existe qui se montent en une lancée de main.
Nous avons essayé chez nous et ça a marché ! Tout d’un coup on réalisait que c’était une solution qui allait loin ! Car dans la tente il dormait bien, et s’il se réveillait il ne pouvait pas taper sur les murs. Donc il y restait jusqu’à ce qu’il retrouve le sommeil.
Et depuis Igor fait du camping tous les soirs. Il semble aimer aller dedans, il rit beaucoup au moment d’y entrer, et reste au calme neuf ou dix heures.
On peut essayer de faire toutes sortes de théories là-dessus. Igor semble aimer les petits espaces… il est contenu… il se sent en sécurité. Un jour il nous le dira.
Ce qui est sûr c’est que ça lui fait du bien de dormir la nuit et de se réveiller le jour.
A toute sa famille aussi !
Et la seule chose que je me dis : « Mais pourquoi je n’y ai pas pensé avant ! »
Mary, maman de Igor
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