Je suis la maman de Géraldine, 12 ans, qui a un handicap mental et qui utilise pour communiquer les signes (j’avais présenté Géraldine il y a deux ans sur une cassette). Elle utilise des pictogrammes comme support de l’écrit. Les deux sont introduits avec le programme Makaton.
L’intitulé de l’exposé est « les difficultés à utiliser les signes au-delà de la famille ? « ou « comment communiquer au delà de sa famille ? »
Je veux dire tout de suite que je n’apporterai pas de réponse … Je veux juste partager cette question avec vous et vous dire nos timides idées pour y répondre un peu.
En fait la question est à la fois plus étroite et plus vaste.
La question est plus étroite, car on pourrait même dire « comment utiliser les signes au-delà de la mère » ou pour certains autres « au-delà de l’orthophoniste » .
Le « au-delà » peut commencer simplement au père de la famille, puis à l’entourage : la famille élargie. En s’éloignant un peu, on arrive aux lieux d’intégration de l’enfant ( l ‘école, le centre social) puis à ses lieux de vie ( établissement) et enfin le monde extérieur et les inconnus.
Si on ne focalise que sur le monde lointain, on oublie tous les intervenants qu’il faut convaincre auparavant, et qui sont pourtant beaucoup plus importants pour l’enfant.
J’ai commencé à y réfléchir en constatant la très grande réticence de certains parents et aussi de nombreux professionnels à envisager de proposer à des enfants ayant des difficultés d’apprentissage ou/et de communication un mode de communication tel que les signes. Leur grand argument est « il/ elle ne pourra communiquer qu’avec nous ; ça va l’enfermer ».
Au début (et encore aujourd’hui je l’avoue), j’étais tentée de balayer cet argument d’un revers de la main en disant, il vaut mieux communiquer avec peu de personnes qu’avec personne. Mais ça ne suffit pas à convaincre hélas.
Que voyons-nous en effet?
Du côté des adultes ?
Des familles où la communication ne repose que sur la mère. Des établissements où le directeur campe sur ses positions « les signes vont les empêcher de parler »et du coup freine toute la motivation de l’équipe.
Des parents qui sont las d’entendre leur entourage leur dire depuis des années « il faudra que tu m’apprennes les signes » , mais qui ne les apprennent jamais.
On voit même des situations de violence faites à l’enfant, comme ces deux histoires tristes qui me sont arrivées. Je demandais l’an dernier à la psychologue de l’établissement de Géraldine de lui faire rencontrer d’autres enfants signants. Elle m’a dit « ce n’est pas la peine, entre enfants, ils n’ont pas besoin de communication symbolique, elle en a déjà avec des adultes ». Et plus récemment, Géraldine a eu des difficultés dans son établissement, elle ne voulait plus y aller. Elle avait peur des signes d’affection, gentils mais brutaux, des grands. C’est simple, elle me l’avait dit en signes. « J’ai peur des grands, ils me portent et me font mal au dos ». L’éducatrice, elle, avait compris bien mieux que moi, sans signes, que Géraldine ne voulait plus de moi !!! « Hein, que tu ne veux pas partager cet espace avec ta maman ? »…
Parfois, on imagine des choses pour aider l’enfant et il semble ne pas s’en saisir… Comme, par exemple, lui proposer des pictogrammes qui devraient permettre un lien avec n’importe qui sachant lire , alors que pour les signes , il faut une réelle initiation de l’interlocuteur. J’en parlerai plus loin .
Le problème est plus large que la seule question des signes voire des pictos. J’ai en effet été intéressée de voir dans les actes de Isaac, que les personnes qui utilisent une synthèse vocale regrettent, elles aussi, de ne pouvoir communiquer qu’avec quelques personnes initiées à leur système de communication, l’entourage plus lointain ayant du mal à s’y mettre.
Récemment, à une journée de l’association Prader-Willy, des parents regrettaient que leur enfant, qui pourtant parle, ne soit pas intégré par les autres enfants. Régine Scelles, psychologue qui a beaucoup travaillé sur l’enfant handicapé, a alors souligné que, dès leur plus jeune âge, les enfants handicapés avaient un programme de rééducation impressionnant, mais toujours en tête-à-tête avec un adulte. Ils deviennent donc très compétents dans la relation avec un adulte seul, mais sont très incompétents pour communiquer avec d’autres enfants. La question est donc encore plus large.
Et il y a aussi la question de M. Bentolila aux journées de l’ANECAMSP sur le langage : « La communication, avec peu de moyens, mais de la connivence et de la familiarité, ça marche. Comment faire, avec peu de moyens, pas de connivence, pas de familiarité ? Comment faire avec des gens qu’on n’a jamais vus, qui ne connaissent pas ce dont on parle ? La langue n’est pas faite seulement pour parler à quelqu’un que je connais de quelque chose que nous avons sous les yeux. Comment aider l’enfant à sortir de la connivence pour affronter l’inconnu ? »
Comment donc aider les enfants à entrer en communication avec les autres : adultes et enfants ? Comment se situer du côté des besoins de l’enfant et non du côté de nos réticences ou de notre volonté d’efficacité...
J’avais posé la question à Me.Gorouben, du CEBES de Paris (Centre Expérimental Bilingue pour Enfants Sourds) que j’avais entendu aux journées de l’ANECAMSP sur le langage. Ils ont eu, avant bien du monde, l’intuition de proposer les signes à des enfants entendants et ne parlant pas. Elle m’a donné quelques pistes :
- que le travail de rééducation de l’enfant soit fait par deux professionnelles en alternance, pour qu’il n’y ait pas de fixation sur un adulte, et pour aider l’enfant à sortir de cette relation si forte avec sa mère
- que l’enfant soit pris avec un autre enfant aussi, pour déjà favoriser la communication entre eux.
- Donner à l’enfant au quotidien de nombreux interlocuteurs potentiels, pour qu’il puisse avoir à ouvrir son esprit sur chacun de ses interlocuteurs.
- Aider la famille à percevoir les besoins communicationnels de l’enfant, pour l’aider à ne pas laisser tomber la communication. Ce sont en effet les réponses de l’enfant qui nourrissent les échanges. Me Gorouben a aussi noté la difficulté d’impliquer les pères…
Une des difficultés qu’elle pointe pour faire comprendre à la famille élargie les besoins des enfants est aussi le fait que le makaton ne soit pas considéré comme incontournable pour les enfants ayant ce type de difficultés . Il est intéressant de voir qu’elle se place du côté des besoins de l’enfant. C’est peut être la clef de voûte des réponses à la question.
Pour l’utilisation des pictogrammes par l’enfant quand les signes ne sont pas compris, elle suggère que serait déterminante « la théorie de l’esprit ». C’est à dire que si l’enfant a conscience que l’autre ne le comprend pas , il cherchera un moyen de se faire comprendre , donc les pictos. «L’étape qui consiste à prendre conscience de l’incompréhension de l’autre est la clef qui montre l’évolution conceptuelle d’un enfant. Modifier ses stratégies est un grand pas vers la théorie de l’esprit, vers la capacité de se décentrer» .
J’avoue que cette phrase m’avait perturbée … et si ma fille n’avait pas cette capacité puisqu’elle ne va pas chercher les pictos… Et en fait, j’ai réalisé qu’elle savait quand les gens ne le comprenaient pas, mais que, alors, elle ne signait pas. C’est à la fois rassurant et triste. Rassurant, car elle ne signe pas comme un singe à ceux qui ne la comprennent pas, et triste car elle ne leur dit rien. Par exemple, quand ils se sont formés aux signes dans l’établissement, j’ai eu dans le cahier de liaison un petit mot : Géraldine a demandé de l’eau à midi. Je me suis dit « mais ça fait trois ans qu’elle vous en demande… Eh bien, non, elle n’en demandait pas».
Il est bien clair que l’introduction des pictogrammes ne résout pas tout. Nous, adultes, les voyons comme un fabuleux moyen de généralisation et de passage à l’abstrait, ce qu’ils sont … quand les enfants ont du mal à en voir la nécessité ou à en dépasser la charge affective.
Christophe est un jeune qui dépend complètement des signes pour communiquer. Mais il ne peut donc communiquer qu’avec ceux qui connaissent les signes. Son orthophoniste a passé beaucoup de temps à lui confectionner tout un assortiment des pictogrammes nécessaires à son quotidien, enfilés sur un gros anneau pour le mettre à sa ceinture.
L’idée était que Christophe puisse être compris de quiconque en montrant le picto de son choix, facilement décodé par l’interlocuteur grâce à la légende écrite d’accompagnement…
Mais un constat s’impose : Christophe ne s’en sert pas du tout … l’utilisation de cet anneau lui demande d’accepter d’introduire dans son mode de communication habituelle et efficace les pictogrammes qu’il associe sans doute trop à un travail formel, à quelque chose dont les gens « normaux » se passent, et enfin à un effort de sa part autant que de la part de l’adulte… ! Ce problème n’est donc pas le sien !!! C’est à nous d’aller vers lui, de faire la démarche de le comprendre !
Un autre petit garçon dysphasique a aussi un beau cahier de communication en pictos pour l’aider quand les signes ne sont pas compris. Mais, en fait, pour évoquer par exemple un voyage en tram, il n’ira pas chercher le tram dans son cahier, mais ira dans son cahier de vie, retrouver la page où est raconté un précédent voyage en tram ; et c’est de cette page dont il se servira.
En effet, bon nombre d’enfants boudent les systèmes rationnels imaginés par l’adulte, et préfèrent avoir recours à leurs cahiers de vie, mémoire précieuse de leurs petites histoires « perso ». Ainsi, ils préfèrent très souvent se faire comprendre à partir de tous ces « accroche-mémoire » que sont les photos, dessins, cartes postales de vacances, tickets de cinémas et autres mèches de cheveux collés.
Alors oui, cela prend beaucoup plus de temps que de pointer un picto isolé de tout contexte concret, ce qui faciliterait bien sûr l’écoute de l’adulte !! Les adultes sont impatients de mettre en place une communication précise et efficace, quand les enfants tâtonnent dans le labyrinthe fantaisiste des repères de leur mémoire. Ce sont d’abord toutes ces traces chargées de sens et d’histoire qui permettent l’organisation des émotions, sensations et souvenirs des enfants. C’est à partir de cette première « banque de données vécues », irremplaçable et unique, que l’enfant structure sa compréhension, et, donc, sur laquelle il appuie ses tentatives d’expression … (et ce n’est pas Elisabeth Cataix Nègre qui me contredira).
Mais on ne peut pas baisser les bras , et maudire notre entourage et les professionnels ou les enfants. Nous avons eu des idées. En voici quelques unes.
Les réponses doivent aller dans les deux directions : à la fois vers les enfants pour les aider à élargir leur cercle de communication et vers les adultes pour qu’ils fassent l’autre bout du chemin.